Gestion de projet et Objectifs de développement durable : Intégration au sein des organisations internationales

Contexte 

À moins de cinq ans de l’échéancier fixé par les Nations Unies pour l’atteinte des dix-sept Objectifs de développement durable (ODD), il est tout à fait propice de se questionner sur la contribution des acteurs internationaux vers l’atteinte du Programme 2030. Pour la première fois dans l’histoire moderne, le Programme 2030 de l’ONU fait appel à la contribution d’un vaste registre d’acteurs. Ceux-ci œuvrent tant dans le secteur public que privé, au Nord global comme au Sud global, ce qui illustre une caractéristique clé qui distingue les ODD de leur prédécesseur, les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). En effet, les huit OMD visaient strictement les pays en développement et l’échéancier de réalisation était fixé à 2015. Conscient de la globalité qui caractérise le monde d’aujourd’hui, le Programme 2030 met l’accent sur la responsabilité partagée entre les divers acteurs qui composent l’écosystème international. 

Le Cadre mondial d’indicateurs relatifs aux objectifs et aux cibles du Programme 2030 décline les 17 ODD en 169 cibles et 248 indicateurs et constitue ainsi l’outil principal de mesure de ces Objectifs. Ce faisant, il met en évidence le lien avec la discipline de la gestion de projet et des compétences en suivi-évaluation requises des praticiens pour leur mise en œuvre. La complexité de ce Cadre mondial, dans un contexte où des acteurs de tout milieu sont interpellés à faire leur part, mène à se questionner sur la manière dont les organisations interagissent avec les ODD. 

Cet article porte sur la manière dont les ODD se déploient dans les pratiques organisationnelles et de gestion de projet. Pour démontrer cette application pratique des ODD, une recherche qualitative dans laquelle des entrevues semi-dirigées ont été menées avec des employés de trois organisations internationales membres de Montréal International a permis d’identifier les principaux éléments qui caractérisent la mise en œuvre des ODD dans leur contexte. À cet effet, il est important de préciser que les résultats se limitent à ces trois organisations internationales dont l’anonymat est préservé et que ces constats ne peuvent être généralisés dû à la taille restreinte de l’échantillon. De plus, il est à noter qu’une seule de ces organisations œuvre en développement international et que les deux autres opèrent dans d’autres secteurs d’activités à l’échelle internationale. 

La recherche s’articule en deux piliers principaux[i]. D’une part, l’intégration et la priorisation des ODD par le biais d’outils et de ressources ressort de l’analyse, et d’autre part la reddition de compte est relevée, démontrant la contribution et le progrès vers l’atteinte des ODD. 

Intégration et priorisation 

Par leur portée à l’échelle internationale, les organisations ayant participé à la recherche (le terme “organisation” est utilisé à travers le texte pour alléger le texte en désignant les organisations internationales basées à Montréal ayant participé à la recherche) identifient des liens étroits entre leur mission et le Programme 2030. Cette interaction avec les ODD s’articule sous deux formes différentes, dépendamment de la nature des activités des organisations en question. Dans la plupart des cas, les organisations procèdent d’abord par une intégration stratégique des ODD qui s’articule par la mention d’objectifs spécifiques dans leur planification stratégique, permettant ainsi d’établir une vision et de fournir la direction vers laquelle orienter les opérations. Dans d’autres cas, l’intégration des ODD aux projets est directement liée aux exigences de bailleurs de fonds dans le cadre de projets spécifiques, ce qui s’avère une réalité davantage pour les organisations opérant des programmes subventionnés.  

La complexité du Cadre mondial d’indicateurs relatifs aux objectifs et aux cibles du Programme 2030 mentionné fait en sorte que la mise en œuvre des ODD sélectionnés par les organisations se traduit par des indicateurs opérationnels créés par l’organisation même (ou ses bailleurs de fonds) afin de mieux refléter sa propre réalité.  

Jusqu’ici, il est clair que les organisations démontrent leur capacité à identifier et à cibler quoi mesurer. De plus, la mention explicite des ODD au sein du plan stratégique ou d’un programme subventionné constitue le premier pas vers l’intégration des ODD dans l’optique où cela démontre la reconnaissance du Programme 2030 comme modèle global de développement durable dans lequel l’organisation ou le projet s’inscrit. Toutefois, l’intégration des ODD et d’indicateurs opérationnels dans les objectifs stratégiques des organisations et de leurs projets, sans être accompagnée d’une méthodologie de mesure, constitue un obstacle à leur mise en œuvre. 

Reddition de compte 

Cette recherche démontre qu’en l’absence d’incitatifs ou de contraintes, une organisation rendra plus difficilement des comptes sur les ODD de son propre gré. En effet, dans le cadre de projets subventionnés, les paramètres de reddition de compte sont généralement plus rigides, prescrits par le bailleur de fonds, où le motif principal à rendre des comptes se situe dans la conformité aux exigences et s’avère davantage contraignant. De l’autre côté, les organisations qui souhaitent satisfaire leurs parties prenantes, voire bien paraître à leurs yeux, disposent d’une plus grande latitude et d’un meilleur contrôle quant au type d’information diffusée, à l’audience ciblée et à la fréquence de diffusion. 

Cette contrainte de conformité comporte toutefois des avantages sur le front méthodologique. En effet, dans le cadre de programmes subventionnés, les bailleurs de fonds prescrivent généralement une méthodologie à adopter, incluant des outils de mesure préalablement définis, ce qui facilite la démonstration de l’impact des projets et de leur contribution vers l’atteinte des ODD. Au contraire, l’absence de méthode de reddition de compte et d’outils qui en découlent constitue une limite pour démontrer des résultats, et ultimement, pour atteindre l’impact recherché. 

Ceci dit, peu importe la structure dans laquelle sont déployés les projets, que ceux-ci soient subventionnés ou non, il est pertinent de mentionner que les organisations dans lesquelles plus de la moitié des membres exécutifs est composée de femmes, sont plus enclines à produire des rapports de reddition de comptes exhaustifs publics sur leur contribution et progrès vis-à-vis des ODD. 

Risques et limites 

L’absence de définition d’une méthodologie claire de mesure des ODD est susceptible de laisser place à une reddition de compte en surface. En effet, la mise en place d’une méthodologie de mesure des ODD au moment de son intégration dans l’organisation vient conditionner la reddition de compte qui suit.  

Cette recherche montre que, lorsqu’aucune méthodologie de mesure n’est mise en place au moment de l’intégration des ODD au sein du processus stratégique, les rapports de reddition tendent à se limiter à la mention des ODD – témoignant ainsi des intentions plutôt que des résultats mesurables. Pour autant, si les ODD suivent un cadre méthodologique précis, notamment dans le cadre des programmes subventionnés, ceux-ci ont plutôt tendance à être évalués par l’entremise de cibles mesurées à des moments spécifiques, et ce, tout au long du cycle de vie des projets. 

Ainsi, le piège du « SDG-washing » guette les organisations qui effectuent une reddition de compte sans cadre méthodologique défini, car la stricte mention des ODD dans sa stratégie n’est pas gage d’une intégration robuste des ODD au sein de sa structure organisationnelle et de projet sans que des outils de mesure soient mis en place. De plus, l’absence de méthodologie laisse place à la pratique de « cherry-picking », selon laquelle la reddition de compte est sujette à un tri entre les bons coups et les échecs, voire même des actions allant à l’encontre du développement durable, pour ne rendre public que les histoires à succès. Démontrant ainsi les failles de ce choix délibéré (ou de ce risque calculé), la pratique de « cherry-picking » mine non seulement la contribution réelle vis-à-vis des ODD, mais également les principes d’intégrité et de transparence.  

Les efforts de reddition de compte plus exhaustifs et méthodologiquement solides s’inscrivent généralement dans une obligation à se conformer en vue de répondre à une exigence de bailleurs de fonds ou de parties prenantes clés, notamment au niveau de l’entité de gouvernance exécutive. 

Leçons à tirer pour mieux se réorienter 

Si les praticiens en gestion de projet œuvrant au sein d’organisations internationales et partageant les valeurs du développement durable peuvent déployer tous leurs efforts pour intégrer les ODD à leurs projets, il revient finalement à la haute direction d’effectuer ce virage pour atteindre une intégration réelle des ODD dans la structure et les pratiques. La sensibilisation et l’éducation de la haute direction aux enjeux de développement durable constituent donc une étape essentielle à l’opérationnalisation des ODD, notamment pour allouer les ressources nécessaires à cette intégration. 

Le manque de méthodologie de mesure des ODD, qui constitue l’épine dorsale de cette recherche, ne vise pas à provoquer une course à l’élaboration de cadres de mesure propres à chaque organisation, mais vise plutôt à lancer un appel à la collaboration. En effet, une multiplicité des méthodes de mesure différentes rendrait non seulement la comparaison entre les organisations pratiquement impossible, mais poserait également des risques quant à la qualité des informations et données mesurées, chacune mesurant ce que bon lui semble, sans paramètres standardisés reconnus. De plus, l’essence même du Programme 2030 repose sur le rôle d’une pluralité d’acteurs issus de secteurs diversifiés. Il est donc temps de se libérer des œillères, de briser les silos et de bâtir des ponts là où les liens n’ont pas toujours été évidents, car la richesse des expertises diverses constitue l’ingrédient secret à la création d’un impact global. 

[i] Les personnes intéressées à lire davantage sur cette recherche peuvent contacter directement l’auteure à cette fin (pozzialessandra1@gmail.com).

Autrice: Alessandra Pozzi, diplômée 2025 de la Maîtrise en Gestion de projet de l’ESG UQAM. Ayant entamé son parcours en coopération internationale il y a plus de dix ans, Alessandra continue de s’intéresser aux enjeux de développement durable et d’inclusion sociale. En tant que praticienne, elle a à cœur de réaliser des projets en intégrant une perspective durable, tant sur le plan environnemental, social ou de gouvernance.

Blogue un seul monde, Alessandra Pozzi, 16 Juin 2025.